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Stress et souffrance psychique
Le stress
Définir le « stress » est une tâche complexe, tant cette notion peut se révéler polymorphe. La naissance de la notion de stress est habituellement liée aux recherches de Hans Seyle. Dans les années 1930, ce chercheur met en évidence, à partir d'expériences portant sur des rats, que des agressions de natures différentes (traumatismes, brûlures, rayons X, etc.) déclenchent des réactions physiologiques identiques. Il en vient à décrire un syndrome, qu'il nommera Syndrome Général d'Adaptation (SGA).
Le SGA est l'ensemble des réponses non spécifiques (c'est-à-dire indépendantes de la nature de l'agent stresseur), provoquées par un agent agressif physique. Ce syndrome se caractérise ensuite par une cascade de réactions biochimiques, en mobilisant les systèmes nerveux, hormonal et immunitaire de la personne. Schématiquement, ces réactions visent à rétablir l'équilibre de l'organisme menacé par l'agent agressif. Les différentes étapes du SGA sont la phase d'alerte, de résistance et enfin d'épuisement (avec le « burn out »).
Mais il semble délicat de vouloir transposer purement et simplement ces réactions à l'homme pour définir ce qu'il ressent en termes de mal-être. Si le concept de stress a été travaillé sous un angle plus cognitif et psychologique, comme « une relation entre une personne donnée et un environnement donné dans laquelle l'individu considère que les sollicitations de l'environnement mettent à l'épreuve ou dépassent ses capacités d'ajustement » (Roques, 1999), la question de la souffrance psychique apparaît s'inscrire dans un champ plus large et plus complexe.
La souffrance psychique
Le concept de souffrance psychique décrit un état de mal être, lié, par exemple, à l’ennui, la monotonie, la peur, l’anxiété, l’angoisse, la déception, l’insatisfaction, la colère, etc. Il traduit également la perte du plaisir, de la coopération, de la solidarité et de la convivialité au travail (Dejours, 1987). La souffrance psychique apparaît comme à la fois différente de la douleur, inévitable et comme réminiscence.
La souffrance , différente de la douleur
Comme le souligne P. Ricoeur, douleur et souffrance n'occupent pas la même place : on dit « j'ai une douleur », mais « je suis souffrant », en marquant ainsi l'exogénéité de la douleur, en opposition à l'immixtion de la souffrance au plus intime de l'Etre (P. Ricoeur, 1994). Alors que la douleur est une perception soudaine et imprévisible, la souffrance implique une notion de durée et de compromis. Souffrir, c'est endurer, éprouver, supporter. Autant la douleur ne peut se traduire que par le cri, autant la souffrance ouvre la voie de la plainte. Si elle ne peut cependant être complètement détachée de la douleur, elle en est l’histoire, et toute douleur qui ne meurt pas est appelée à devenir souffrance (M. Gros et G. Lanteri Laura, 1996).
La souffrance psychique est inévitable
Une première forme de souffrance est liée à la rencontre avec l'impuissance devant certains aspects de la vie, les limites, les pertes inévitables et les séparations (par les choix qu'elle nous impose). « Vivre, c'est non seulement rechercher le bonheur, mais également affronter toutes sortes de souffrances liées à des pertes, des désillusions, des séparations, des sacrifices et des renoncements » (A. Ferrant, 2007). Le problème est alors de savoir à partir de quel moment cette souffrance devient intolérable.
La souffrance psychique est réminiscence
Une seconde forme de souffrance est plus profonde et ne se limite pas à la confrontation avec les difficultés de la vie. La frustration ressentie à un moment donné face à une impossibilité de satisfaire un désir ne suffit pas, loin de là, à provoquer de la souffrance psychique telle que nous la définissons. Cette souffrance est relative à la réminiscence de souvenirs enfouis, qu'une situation présente va actualiser. C'est à propos de l'hystérie que S. Freud note « l'hystérique souffre de réminiscence ». Freud généralisera cette notion à l'ensemble de la souffrance psychique, y compris la psychose. Autrement dit, un moment du passé, insuffisamment intégré ou traumatique, vient hanter le présent. Les symptômes viennent dire ce retour d'un pan de notre vie subjective antérieure, récente ou archaïque, ils sont une forme de mémoire qui ne se connaît pas comme telle.
Souffrance et vie psychique
La vie psychique de chaque sujet est faite de conflits internes, de confrontations entre les désirs, pulsions, les contraintes et les interdits (ce qui a été intériorisé en termes de conduites et de pensées répréhensibles ou non) ; entre ce que nous voudrions faire ou être et ce que nous pensons être en capacité de faire ou d'être ; entre ce que nous pensons être, ce que nous retourne réflexivement les autres et ce que les situations nous font vivre et/ou revivre de notre passé...
C'est à partir de la pulsion que vont pouvoir être décrits les différents aspects de la vie psychique. Le point de vue économique qualifie tout ce qui se rapporte à l’hypothèse selon laquelle les processus psychiques consistent en la circulation et la répartition d’une énergie qualifiable (énergie pulsionnelle), c’est-à-dire susceptible d’augmentation, de diminution, d’équivalence.
D'un point de vue topique, le traitement des conflits implique que la psyché soit conduite à refouler ou à éconduire, d'une manière ou d'une autre, certaines motions pulsionnelles, c'est-à-dire la manière dont la pulsion se manifeste. La psyché peut alors être décrite schématiquement comme formée de différents lieux où les contenus psychiques ne sont pas traités de la même manière : le Ça, (réservoir pulsionnel de notre psychisme, régi par les processus primaires et le principe de plaisir, ignorant les jugements de valeur et la temporalité), le Surmoi (« représentant des exigences éthiques de l’homme » selon S. Freud, qui résulte de l’intériorisation des images idéalisées des parents, de sa propre relation avec ses parents, des règles et lois parentales et sociales), le Moi (médiateur entre les exigences pulsionnelles du Ça, le monde extérieur et les contraintes du Surmoi, fonctionnant sur le registre du principe de réalité qu'il cherche à substituer au principe de plaisir). A ces instances se rajoutent celles de l'Idéal du moi, modèle auquel le sujet cherche à se conformer, distincte du surmoi qui est instance interdictrice (J. Laplanche et J-B Pontalis, 1967) et du Moi idéal (correspondant à un idéal narcissique de toute-puissance).
D'un point de vue dynamique, les pulsions vont pouvoir rentrer en conflit les unes avec les autres, ou avec le Moi et le Surmoi, ou avec certaines parties de ces instances. « Ces conflits contraignent la psyché à trouver des « solutions », des compromis, à composer avec les différents mouvements et intérêts psychiques » (R. Roussillon et al, 2007, p. 27). Le symptôme exprimera ce processus conflictuel entre instances : tandis que dans la névrose, le Moi, obéissant aux exigences de la réalité (et du Surmoi) refoule les revendications pulsionnelles, il se produit tout d'abord dans la psychose une rupture entre le Moi et la réalité qui laisse le Moi sous l'emprise du Ça. Dans un second temps, celui du délire, le Moi reconstruirait une nouvelle réalité, conforme aux désirs du Ça » (J. Laplanche et J-B- Pontalis, 1967).
Ainsi, selon les points de vue économique et dynamique, les sollicitations psychiques, qu'elles soient internes ou externes, sont toujours génératrices de tensions, que l'individu doit gérer et pour lesquelles il « cherche » des voies de décharge (psychiques, motrices ou viscérales). Comme le décrit Christophe Dejours, le sujet, en prise avec une poussée agressive peut fabriquer des fantasmes agressifs (et ces représentations mentales peuvent éventuellement suffire à décharger l'essentiel de la tension intérieure puisque leur production est elle-même consommatrice d'énergie pulsionnelle. Si le sujet ne parvient pas à la détente par ce moyen, il a la possibilité d'utiliser une voie psychomotrice (crise de colère, fuite, passage à l'acte agressif, violence...). Quand ces deux voies ne peuvent être utilisées, l'énergie pulsionnelle ne peut se décharger que par la voie du système nerveux autonome et par le dérèglement des fonctions somatiques. C'est la voie « viscérale », celle qui est à l'oeuvre dans le processus de somatisation (C. Dejours, 1993).
Un quatrième point de vue peut également être défini : c'est le point de vue « génétique ». Il va s’entendre comme l’analyse des stades libidinaux de développement, les différents investissements des pulsions partielles orales, anales, phalliques étant associés à des étapes successives du développement de l’enfant (Abraham, 1924).
Investissement et retournement en souffrance
La question de l'investissement apparaît alors centrale, car c'est elle qui commande le sens. En effet, « ce qui attire l'attention de la psyché, c'est ce qu'elle investit, et elle l'investit en fonction de la pulsion. Il y a donc de ce qui se passe, et la manière dont ce qui se passe est investi, dont cela devient « signifiant » pour la psyché. Ainsi la perception, la réalité extérieure doivent-elles être « pulsionnalisées », investies par la pulsion pour prendre sens » (R. Roussillon, A. Ciccone, 2007, p. 29).
Autrement dit, tout être humain, pour vivre en société parmi ses semblables, pour faire « partie du monde », doit investir des objets, que ces objets soient d'autres personnes ou des groupes, institutions, organisations, des idées ou des métiers...
Dans l'espace de socialisation que constitue le monde du travail, plus le sujet trouve à y transposer la poursuite de ses désirs, à y pulsionnaliser sa réalité, ses rapports aux autres, plus le travail pourra être source de plaisir. Mais lorsque les contraintes, les « organisations impossibles » et paradoxales confrontent l'individu à l'impuissance, au non-sens, au sentiment de dévalorisation, l'investissement peut se retourner alors en souffrance. Tout comme lorsque les sollicitations (internes ou externes) exigent un travail psychique trop important, en désorganisant les mécanismes de défense que l'individu avait parfois difficilement développés. Le travail de la pensée ne parvient plus à lier les excitations pour les rendre supportables. Si la situation dépasse les capacités de traitement liées à ces modalités de défense, le sujet peut alors décompenser.
Comme le note A. Ferrant, la souffrance psychique devient pathologique lorsque le sujet n'a pas trouvé de miroir, d'écoute et de réceptacle lui permettant de traiter, de transformer et donc de symboliser ce qui est en attente d'inscription psychique. « Nous souffrons de ce qui est bloqué psychiquement » (A. Ferrant, 2007). En même temps qu'il s'épuise à évacuer ces tensions, le sujet n'est plus capable de penser et de subjectiver. C'est le « je n'arrive même plus à penser ! », formulé fréquemment lors des stages sur le stress que j'ai eu l'occasion d'animer à plusieurs reprises.
RD le 13 mars 2013
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