DÉJÀ UN MOIS de guerre, et on peut supposer, si l’on a quelque confiance
dans la vaillance des troupes engagées et dans la qualité de leur
équipement made in France (qui fait la fierté de nos exportateurs et le
bonheur des assassins) que la viande humaine s’est accumulée de façon
satisfaisante dans les charniers. Seulement voilà, impossible de dire si
les munitions tricolores ont coupé plus de mains et de pieds que les
bouchers de la charia, impossible de savoir le nombre de fanatiques
terroristes qui ont rejoint le Walhalla islamique, combien de simples
passants pulvérisés au bénéfice du doute, d’enfants rôtis dans leur maison
incendiée. Seul bilan, côté troupes coloniales : un pilote d’hélico le
premier jour, et trois pioupious morts à cause de la neige.
En guise d’information, on n’a que ce que l’armée française veut bien nous
donner : rien. Cochons de civils, vous n’avez rien à voir dans les
affaires sérieuses de vos généraux. Et ne comptez pas sur le chef des
armées, le président de la République, pour vous défendre, car il est pire
que complice de ce silence, il en est l’organisateur. On veut une guerre,
pour cimenter la nation dans la haine de l’étranger et planquer une
politique intérieure définitivement antisociale. On ne veut pas que le
doute s’installe, que l’infâme « bonne conscience de gauche » instille son
poison dans l’union sacrée. La France doit bombarder près de Tamanrasset
pour fermer les usines à Dunkerque.
Voilà donc en train de se dérouler, en notre nom à tous, une campagne
meurtrière dont nous ne saurons rien. Les principaux médias, télévisés en
particulier, nous donnent le spectacle affligeant auquel ils nous ont
habitués. Léchage de godillots, communiqués cocardiers, foules en liesse
acclamant les libérateurs, glorification de l’armée, fascination pour la
boucherie. D’information, point. Jamais. Le prétendu « quatrième pouvoir »
est toujours le valet du premier, l’État.
L’armée et les industriels de l’armement trouvent toujours des raisons de
justifier, même en période de crise aiguë comme maintenant, le poids
monstrueux dont ils pèsent sur la population, les crédits gigantesques
qu’ils consomment sans produire rien d’utile, en détruisant, même. Si
l’ennemi n’existe pas, ils le fabriquent bien effrayant. Dans les faits,
avec cette poignée de fanatiques religieux qu’on excite continuellement en
guerroyant un peu partout et en semant l’injustice ; dans les têtes, avec
la propagande incessante qui paralyse le jugement critique. Nous vous
disons, nous : l’ennemi est dans notre propre pays, et il gouverne sans
avoir jamais été élu.
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