Foin des officiels sujets de mécontentement comme des prudes réactions
entourant d’un halo réprobateur les frasques bancaires d’un Cahuzac; la
mort navrante bien qu’annoncée des aciéries de Florange; la félonie de
Hollande et de Mittal dans cette affaire; ou, à propos de félons, la
disparition de Mme Thatcher, saluée par certains comme une délivrance mais
dont la longue liste de forfaits était, pour la plupart des gens nés après
1990, passée aux oubliettes à l’image de l’Alzheimer de la Dame de fer en
question.
Qu’il soit ici question d’un fait divers bien insignifiant: un jeu de
téléréalité, Koh Lanta, a récemment causé la mort d’une personne, ou
plutôt de deux pour être tout à fait précis. D’aucuns, à défaut de se
passionner pour ce fleuron de l’intelligence humaine, en connaissent le
principe: emmener deux équipes de djeunes, les rouges et les jaunes, sur
une île déserte et les faire s’affronter pendant quarante jours au travers
d’épreuves d’endurance sadiques où ils sont censés se «dépasser», comme
disent les DRH.
Après seize heures de vol, une traversée à la nage de 200 mètres, enfin
une épreuve de tir à la corde entre équipes comme au bon vieux temps des
patronages et des colos, Gérald fait une crise cardiaque; il n’est pas
soigné assez vite, il décède. Le médecin maison de la prod’, pris à parti
par la presse, se suicide. Ça fait deux victimes de ces téléréalités où la
lutte de tous contre tous est censée faire les délices des téléspectateurs
(audimat oblige) tout en libérant une part de leur cerveau pour Coca-Cola.
Dénoncer la bêtise, la démagogie, l’appât du gain, la déliquescence des
moeurs, l’imposition d’une loi de la jungle inflexible, serait passer pour
un has been : 7 millions de téléspectateurs en moyenne par an suivent ce
genre de conneries et ce depuis douze ans. Sept millions qui attendent que
le gladiateur crève dans l’arène. Les mêmes qui trouvent normal quand un
sportif «de haut niveau» calanche à coup de piquouzes.
Pyongyang et ses titatas nucléaires ou les famines du tiers-monde sont
autant d’avatars de ce parti pris délibéré d’abrutissement et d’égoïsme
imposés à des populations décérébrées. Koh Lanta n’est pas qu’un jeu
inepte et cruel, c’est l’illustration des méthodes employées par les
décideurs, les économistes, les experts et les entreprises qu’on présente
comme modèles de comportement social. Une règle de vie mondialisée de
concurrence malsaine où l’empathie et l’entraide sont moquées, frappées
d’interdit, pour faire place à la méfiance et à la traîtrise. Supporter ou
trouver naturel un tel jeu, un tel comportement de société, est signe
qu’il est grand temps de se révolter.
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