jeudi 19 septembre 2013

Editorial du Monde Libertaire Hors-série n°51 septembre-octobre 2013

C'est la rentrée. On reprend le boulot. On recommence à marner semaine
après semaine pour gagner sa croûte, pour payer son toit, pour consommer.
La rentrée, c'est aussi la rentrée sociale. Le sujet de cette rentrée
sociale (comme des dernières) est la réforme des retraites. Sans entrer
dans le détail, il va encore s'agir d'augmenter le temps de travail fourni
au cours d'une vie. Fourni pour quoi ? Pour qui ? L'organisation du
travail est constamment pensée et optimisée. Mais pas par ceux qui
fournissent le travail ; et la variable qu'on cherche à optimiser n'est
certainement pas l'émancipation du travailleur.

Les usines de construction automobile, dès les années 20, ont mis en
application les théories sur la rationalisation du travail (Taylor, Ford).
Taylor prônait de diviser le travail verticalement (les concepteurs en
haut et les exécutants en bas) et horizontalement pour minimiser les
doublons et les ambiguïtés. Ford a augmenté la division horizontale en
parcellisant le travail. La productivité s'en est trouvée augmentée et les
ouvriers un peu plus dépossédés de leur autonomie et de leur compétence.
Le prix de revient, donc d'achat pour le consommateur, est amélioré au
détriment de l'ouvrier.

Maintenant, dans tous les secteurs on déplore toujours plus les
raisonnements gestionnaires menés par des décideurs qui ne connaissent pas
le coeur de métier. L'individu est contrôlé à coup d'indicateurs, de
mesures de performance. Les travailleurs sont pressurisés, sommés de
cravacher mieux que le voisin, de turbiner plus rentable pour moins cher.
Le travailleur est une ressource pillée comme les autres. Les travailleurs
ne reconnaissent plus leur travail. En voyant les vagues de dépressions
nerveuses voire de suicides au boulot, on se rappelle l'origine du mot «
travail » (tripalium, un instrument de torture).

Encore cette année, un des orateurs de l'université d'été du MEDEF a été
le commandant de la légion étrangère. Le discours des idéologues de
l'entreprise ressasse un vocabulaire guerrier de conquête, de compétition.
Et ils radotent que le coût du travail est trop élevé. Ils demandent
toujours plus d'engagement de la part des salariés et revendiquent de
pourvoir virer qui ils veulent sur un claquement de doigts, au nom de la
compétitivité. Et ces parasites grignotent chaque année un peu plus ce
qu'ils sont censés reverser à la collectivité. Et ceux qu'on désigne à
longueur de bulletin d'information sont les chômeurs.

Dénoncer cette dichotomie entres possédants et exploités ne suffit pas.
Aucun ponte, aussi puissant soit-il, ne serait capable d'asservir toute la
main d'oeuvre qu'il emploie sans le concours de la hiérarchie
d'intermédiaires, de chefaillons ni des flics qui tabassent les ouvriers
qui osent se révolter. Comme à chaque rentrée sociale, on va voir des
travailleurs défiler derrière la sono qui hurle que « c'est pas à l'Élysée
ni à Matignon qu'on obtiendra satisfaction », dans des manifs décidées par
les partenaires sociaux (partenaires qui vont à Matignon et à l'Élysée,
eux). C'est à se demander si c'est utile de s'accrocher à une usine de
merde ; s'il ne vaudrait pas mieux faire crever tous ces lieux
d'asservissement tant qu'on est encore en vie, envoyer bouler cette
hiérarchie syndicale et productiviste.

Il paraît que, dans les années 30, Keynes avait prédit qu'à la fin du
Xxème siècle, les technologies seraient suffisamment avancées pour qu'on
envisage ne travailler que 15 heures par semaine. On en est loin. Et
pourtant... est-ce qu'on n'arriverait pas à vivre beaucoup mieux en
travaillant beaucoup moins ? Pour ce numéro de rentrée, le Monde
Libertaire Hors-Série s'est penché, dans son dossier principal, sur le
thème du travail.

Editorial du Monde Libertaire # 1715 du 19 au 25 septembre 2013

Une fois n’est pas coutume, cet édito ne parlera pas de problèmes de
société ni même de politique à proprement parler. Pour une fois, nous
allons parler de nous, les anarchistes, de nos accès de mélancolie et de
notre «drapeau noir en berne sur l’espoir». Combien de fois dans une vie
militante se dit-on: «À quoi bon?» Combien de fois nous sentons-nous
découragés face à l’ampleur de la tâche devant nous, devant ceux qui nous
combattent comme devant ceux qui s’en foutent? Dans ces moments-là, il est
tentant de baisser les bras et de se décharger sur les copains. Se
réfugier derrière «d’autres le feront» revient à souscrire à la vieille
croyance capitaliste du «nous sommes tous remplaçables».

Eh bien, non. Les débats que nous n’organiserons ne seront pas organisés.
Les tracts que nous ne distribuerons pas ne seront pas distribués. Les
livres que nous n’écrirons pas ne seront ni écrits, ni publiés, ni lus.
Assez de jérémiades sur ce pauvre monde qui crève, si éloigné de notre
idéal libertaire, et sur nous-mêmes, nos défauts, nos faiblesses. Prenons
quelques instants pour faire le constat de notre impuissance actuelle
vis-à-vis de certains événements: Syrie, mouvements sociaux tièdes…

Ce constat douloureux nous est nécessaire. Associé à un retour sur les
apprentissages de l’action passé, il sera moteur de l’action future. Si
«la plus petite fortune, le plus mince établissement, la mise en place de
la plus chétive industrie, exige un concours de travaux et de talents si
divers, que le même homme n’y suffirait pas» (Pierre-Joseph Proudhon),
notre intelligence collective se doit de s’ouvrir sur des apports nouveaux
et extérieurs, tant du point de vue de la théorie que de la pratique, pour
ne pas se scléroser davantage.

dimanche 15 septembre 2013

Editorial du Monde Libertaire # 1714 du 12 au 18 septembre 2013

La rentrée sera-t-elle chaude en France ? On est plutôt dans le tiède ; la
même question ne se pose pas pour la Syrie. Là-bas, c’est brûlant. Tant
qu’il n’était fait usage que d’armes conventionnelles, les consciences
occidentales se sont accommodées de la situation, mais si l’emploi d’armes
chimiques par le régime de Bachar al-Assad contre sa population s’avère
exact (en ces temps de manipulation de l’image, le doute est toujours
permis), le risque d’intervention militaire des Occidentaux va se
préciser.

Sans les Britanniques (pour leur parlement c’est « no » au Premier
ministre, Cameron), probablement avec les États-Unis (quand leur congrès
aura approuvé la décision du président, Obama) et sûrement avec la France
de François Hollande, encore ébloui de ses succès militaires au Mali et
promu provisoirement « gendarme du monde » avant l’entrée en action des
forces étasuniennes.

Et, une nouvelle fois (comme en Irak, Libye, Égypte), se pose le dilemme :
aider à abattre un dictateur sanguinaire ou ne rien faire qui puisse
favoriser l’arrivée au pouvoir d’une coalition dont une des composantes se
réclame d’un islamisme radical ? Qui va-t-on aider réellement dans cette
coalition des rebelles ? Dans quelle union sacrée veut-on encore nous
entraîner ? Et si l’on se réjouira tous de ce que l’infâme Al-Assad
dégage, il est probable que son remplaçant nous fasse rire jaune.

Et, au milieu, c’est toujours le peuple syrien qui en prendra plein le
buffet. Pendant ce temps, les images de combats inondent nos écrans TV
occultant ainsi tous nos « petits » problèmes hexagonaux : chômage,
précarité, remise en cause ininterrompue des acquis sociaux, du Code du
travail, du système de retraite… N’oublions pas : ici comme ailleurs,
aujourd’hui comme de tout temps, les bruits de bottes ont toujours servi à
escamoter le problème social.